A Nantes, le promeneur se
demande ce que vient faire ce bloc massif bardé de bleu sur le quai
Saint-Louis, au plus près de la Loire… Il s’agit en fait d’un bardage des
années 70 dénaturant l’ancienne « Minoterie de la Loire », bâtiment
emblématique de l’architecture industrielle de la fin du 19e siècle
et du modèle industrialo-portuaire typique de l’économie nantaise de cette
période.
Le site, propice à
l’industrie depuis le milieu du 18e siècle, est acheté par Paul Perraud,
minotier à Issé (Loire-Atlantique), pour y édifier une vaste minoterie en 1894
dotée des dernières innovations, ainsi qu’un silo avec estacade trois ans plus
tard. Ce projet ambitieux tournera au fiasco financier peu de temps après la
réalisation des bâtiments. Mais il nous laisse un témoin rarissime de
l’utilisation du béton armé, selon le procédé Hennebique du
poteau-poutre-plancher, procédé déposé en 1890 et 1893, qui en fait une usine
monolithique. Nous nous trouvons face à un rare témoin de cette révolution technique
et à la première application de ce système dans le Grand Ouest.
Ce bâtiment figure en bonne
place dans la promotion de ce système constructif (François Hennebique le cite
comme un chantier particulièrement difficile dû à la configuration du site et à
la mauvaise qualité du terrain), système s’est propagé ensuite dans le monde
entier. Ce bâtiment est ainsi l’un des vecteurs de la vulgarisation du béton
armé dans la littérature technique et architecturale du XXe siècle.
Il est incontestablement un élément primordial du patrimoine industriel
nantais.
La minoterie fonctionnera
sous l’appellation des « grands moulins de la Loire », due au
regroupement des minotiers du département en 1923, jusqu'à la seconde Guerre
Mondiale. Elle sera ensuite louée à la Coopérative agricole de Nantes, avant
d’être vendue et transformée en immeuble de bureaux.
Le fond Hennebique déposé à
l’Institut français d'Architecture, complété par les archives de la famille
Laraison (célèbre minotier de la région), ainsi que le fond documentaire de
l’association e+pi, nous permet de connaître enfin l’histoire et l’intérêt de
cet ensemble productif.
L’édifice fait partie du secteur de réflexion pour le projet du
Bas-Chantenay. Une demande de protection est en cours auprès de la DRAC afin de
prendre en compte la qualité patrimoniale de ce bâtiment, à un moment où ce
quartier entre dans une phase de profond renouvellement. A cet instant, remarquons
que ce bâtiment, encore aujourd’hui décrié pour sa situation qui dénaturerait
la vue sur la Loire, permet au contraire de lire et comprendre le site. En
venant du centre de Nantes, le long du quai de la Fosse ou depuis le pont
Anne-de-Bretagne par exemple, il inscrit physiquement, sur le quai et dans le
profil du Sillon de Bretagne qui se termine là, l’inflexion que subit
précisément ici le fleuve. Ce bâtiment peut aussi être vu comme un pivot, une
articulation ou un signal dans le paysage urbain.
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