17 juin 2012

CAP 44, l'enquête continue !


A Nantes, le promeneur se demande ce que vient faire ce bloc massif bardé de bleu sur le quai Saint-Louis, au plus près de la Loire… Il s’agit en fait d’un bardage des années 70 dénaturant l’ancienne « Minoterie de la Loire », bâtiment emblématique de l’architecture industrielle de la fin du 19e siècle et du modèle industrialo-portuaire typique de l’économie nantaise de cette période.

Le site, propice à l’industrie depuis le milieu du 18e siècle, est acheté par Paul Perraud, minotier à Issé (Loire-Atlantique), pour y édifier une vaste minoterie en 1894 dotée des dernières innovations, ainsi qu’un silo avec estacade trois ans plus tard. Ce projet ambitieux tournera au fiasco financier peu de temps après la réalisation des bâtiments. Mais il nous laisse un témoin rarissime de l’utilisation du béton armé, selon le procédé Hennebique du poteau-poutre-plancher, procédé déposé en 1890 et 1893, qui en fait une usine monolithique. Nous nous trouvons face à un rare témoin de cette révolution technique et à la première application de ce système dans le Grand Ouest.

Ce bâtiment figure en bonne place dans la promotion de ce système constructif (François Hennebique le cite comme un chantier particulièrement difficile dû à la configuration du site et à la mauvaise qualité du terrain), système s’est propagé ensuite dans le monde entier. Ce bâtiment est ainsi l’un des vecteurs de la vulgarisation du béton armé dans la littérature technique et architecturale du XXe siècle. Il est incontestablement un élément primordial du patrimoine industriel nantais.

La minoterie fonctionnera sous l’appellation des « grands moulins de la Loire », due au regroupement des minotiers du département en 1923, jusqu'à la seconde Guerre Mondiale. Elle sera ensuite louée à la Coopérative agricole de Nantes, avant d’être vendue et transformée en immeuble de bureaux.

Le fond Hennebique déposé à l’Institut français d'Architecture, complété par les archives de la famille Laraison (célèbre minotier de la région), ainsi que le fond documentaire de l’association e+pi, nous permet de connaître enfin l’histoire et l’intérêt de cet ensemble productif.
L’édifice fait partie du secteur de réflexion pour le projet du Bas-Chantenay. Une demande de protection est en cours auprès de la DRAC afin de prendre en compte la qualité patrimoniale de ce bâtiment, à un moment où ce quartier entre dans une phase de profond renouvellement. A cet instant, remarquons que ce bâtiment, encore aujourd’hui décrié pour sa situation qui dénaturerait la vue sur la Loire, permet au contraire de lire et comprendre le site. En venant du centre de Nantes, le long du quai de la Fosse ou depuis le pont Anne-de-Bretagne par exemple, il inscrit physiquement, sur le quai et dans le profil du Sillon de Bretagne qui se termine là, l’inflexion que subit précisément ici le fleuve. Ce bâtiment peut aussi être vu comme un pivot, une articulation ou un signal dans le paysage urbain.